Dépistage du cancer de la peau : ces diagnostics express en pharmacie qui inquiètent Image d'illustrationIstock

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Face aux délais interminables pour obtenir un rendez-vous chez un dermatologue, certaines pharmacies surfent sur la vague de la téléexpertise. Leur promesse ? Offrir un diagnostic rapide des grains de beauté suspects grâce à des dermatoscopes connectés et boostés à l’intelligence artificielle. En quelques minutes, le patient obtient un feu vert ou rouge, censé dire si sa lésion cutanée mérite un examen plus poussé. Pratique, rapide, rassurant ? Pas si sûr selon un communiqué publié le 21 juillet 2025 par France Assos Santé.

Des nouvelles pratiques qui posent des questions de sécurité

Ces outils séduisent de plus en plus de pharmacies et de patients en quête de solutions rapides pour détecter les cancers de la peau, notamment les mélanomes. Mais pour France Assos Santé, ces nouvelles pratiques posent de sérieuses questions de sécurité. Pascale Benaksas, présidente de l’association France Asso Cancer et Peau, alerte : « Des signalements nous sont remontés de la part de patients faussement rassurés. L’outil leur dit que la lésion analysée est « verte » zéro risque, mais heureusement que certains consultent quand le doute subsiste, à l’instar de cette patiente qui, peu après, a reçu de son médecin un diagnostic de mélanome déjà avancé qui touchait les ganglions. Si cela avait été détecté correctement plus tôt, cela lui aurait épargné chirurgie et traitements anticancéreux. »

« En l’état, ces outils ne fluidifient pas le système, ils peuvent même le compliquer. Pour autant, les dispositifs de télédiagnostic fleurissent, sans réelle garantie pour les patients »

En cause ? La fiabilité de ces dermatoscopes connectés et de leur intelligence artificielle. Plusieurs appareils disponibles en pharmacie ne disposent pas de certifications médicales solides. La Société Française de Dermatologie elle-même souligne ce flou. Résultat : le risque d’erreur d’interprétation est bien réel. « En l’état, ces outils ne fluidifient pas le système, ils peuvent même le compliquer. Pour autant, les dispositifs de télédiagnostic fleurissent, sans réelle garantie pour les patients », prévient Philippe Bergerot, président de la Ligue contre le cancer dans le communiqué de France Assos Santé.

Une relecture humaine des résultats pas systématique

Autre problème : la relecture humaine. Derrière l’écran et les belles promesses, certains services n’assurent pas toujours qu’un dermatologue vérifie les images capturées. Parfois, seul un signal d’alerte de l’IA déclenche un contrôle par un médecin. Or, si l’algorithme passe à côté d’une lésion suspecte, aucune vérification ne viendra corriger le tir. Pour Pascale Benaksas, c’est clair : « Si les clichés ne sont vérifiés par un médecin spécialiste que lorsque l’IA pense avoir trouvé quelque chose de suspect, c’est évidemment un problème quand elle n’est pas éprouvée, et plus encore quand les annonces commerciales affirment le contraire »

Cette situation soulève aussi une question de transparence. Les patients ne sont pas toujours informés clairement du fonctionnement de ces outils et de leurs limites. Pire, certaines pharmacies qui proposent ces services ne savent pas toujours si les appareils qu’elles utilisent sont réellement certifiés. La promesse commerciale, elle, est souvent bien rodée pour rassurer et attirer.

Face à ces dérives, France Assos Santé appelle à la vigilance. Chantal Cateau, présidente de l’association Le Lien, rappelle le rôle clé des pharmaciens : « Ils doivent garantir la qualité et la sécurité des services qu’ils offrent, y compris ceux qui intègrent de l’IA. Cela suppose de vérifier les certifications et d’être formés aux risques spécifiques de ces technologies. »

Car dans les hôpitaux, l’achat de dispositifs médicaux numériques est encadré et contrôlé. Mais en ville, chez les professionnels libéraux, ces vérifications manquent encore. « Il est urgent que les pharmacies adoptent les mêmes exigences de qualité que les établissements de santé », souligne Chantal Cateau.

Un accès des soins amélioré

Pour autant, tout le monde s’accorde à reconnaître le potentiel de ces nouvelles technologies. Bien encadrée, l’intelligence artificielle pourrait améliorer la prévention et l’accès aux soins, notamment dans les déserts médicaux. Mais pour Philippe Bergerot, des garde-fous sont indispensables : « Il faut assurer une évaluation indépendante de ces dispositifs, garantir, un encadrement des pratiques et intégrer ces technologies dans des réseaux territoriaux permettant une supervision par des dermatologues, sans quoi les promesses contenues dans ces technologies risquent de tourner au leurre »

Informer clairement le patient, utiliser des dispositifs certifiés, garantir une supervision médicale : ce triptyque est, selon France Assos Santé, la seule voie pour éviter que ces innovations ne se transforment en leurre. Les organisations professionnelles comme l’Ordre national des pharmaciens ont un rôle à jouer pour encadrer ces pratiques, sensibiliser les officines et, si besoin, sanctionner les abus.

Car au final, derrière la promesse d’un diagnostic facile et rapide se cache un enjeu vital : détecter le plus tôt possible un cancer de la peau peut sauver des vies. Encore faut-il que la technologie, si elle remplace un rendez-vous chez le spécialiste, offre les mêmes garanties. « Si on dit aux patients que c’est fiable, alors ça doit vraiment l’être », conclut Chantal Cateau.