
L’été est la saison du soleil, des vacances et des fruits juteux que l’on attend toute l’année : pêches, abricots, melons, cerises, pastèques ou encore kiwis. Pourtant, pour de nombreuses personnes allergiques aux pollens, ces douceurs estivales peuvent réserver une mauvaise surprise. Démangeaisons dans la bouche, lèvres qui picotent, gorge qui gratte, voire gonflement : ces symptômes sont les manifestations d’un phénomène méconnu du grand public, mais pourtant bien documenté par les allergologues, celui des allergies croisées entre pollens et aliments.
Ce lien parfois surprenant s’explique par un mécanisme immunologique bien précis : certaines protéines présentes dans les pollens sont très similaires, voire identiques, à celles contenues dans certains aliments d’origine végétale. C’est cette ressemblance moléculaire qui trompe le système immunitaire. Il croit reconnaître un ennemi déjà combattu, le pollen, et se met à réagir de façon excessive face à une simple pêche ou à un morceau de melon.
Le syndrome pollen-aliment : quand le corps confond pollen et fruits
Ce phénomène porte un nom : le syndrome pollen-aliment, aussi connu sous son appellation anglo-saxonne, Oral Allergy Syndrome. Il concerne principalement les personnes déjà sensibilisées aux pollens, notamment ceux du bouleau, des graminées, de l’armoise, de l’ambroisie ou encore du cyprès. Le corps, ayant développé des anticorps contre ces pollens, réagit également aux protéines végétales similaires présentes dans certains fruits, légumes, noix ou épices. Ces protéines partagées, appelées pan-allergènes, appartiennent notamment aux familles PR-10, profilines, GRP ou LTP, et elles sont responsables de cette confusion immunitaire.
Contrairement à une allergie alimentaire classique, souvent plus brutale et dangereuse, les réactions liées au syndrome pollen-aliment restent en général localisées et modérées. Le plus souvent, elles se manifestent par des sensations de picotements, des démangeaisons ou de petits gonflements dans la bouche, sur les lèvres, ou la gorge. Il s'agit de ce que l'on appelle une réaction de contact. Dans de rares cas, cependant, la réaction peut s’étendre à la peau ou aux voies respiratoires et nécessiter une prise en charge plus sérieuse.
Le melon, la pastèque, le concombre et la courgette, souvent bienvenus dans les salades estivales, sont eux aussi dans la ligne de mire. Ces aliments partagent des structures communes avec les pollens de graminées et de l’ambroisie.
Les fruits d’été en ligne de mire des allergies croisées
Parmi les fruits d’été les plus susceptibles de provoquer des réactions croisées, les pêches occupent une place de choix. Leur allergène principal, Pru p 1, présente une grande similitude avec celui du pollen de bouleau, Bet v 1. Les personnes allergiques à ce dernier peuvent donc réagir à la pêche crue, mais aussi à ses cousines proches que sont la nectarine, l’abricot, la prune ou la cerise. Ces fruits à noyau, très consommés l’été, sont aussi riches en LTP, un autre allergène particulièrement résistant à la chaleur et à la digestion, pouvant causer des réactions plus sévères.
Le melon, la pastèque, le concombre et la courgette, souvent bienvenus dans les salades estivales, sont eux aussi dans la ligne de mire. Ces aliments partagent des structures communes avec les pollens de graminées et de l’ambroisie. Une personne sujette au rhume des foins pendant les mois d’été peut ainsi se retrouver à réagir à une simple bouchée de pastèque bien fraîche.
Le kiwi, fruit exotique en apparence, n’est pas en reste. Il est souvent impliqué dans les réactions croisées chez les personnes sensibilisées au bouleau ou à l’ambroisie. Il partage aussi des pan-allergènes avec la banane ou encore le latex, ce qui explique pourquoi certaines personnes développent une "triade allergique" pollen-fruit-latex.
Quant aux agrumes, longtemps considérés comme peu allergènes, ils sont aujourd’hui mieux étudiés. Les travaux de l’Institut Pasteur ont démontré une forte réactivité croisée entre le pollen de cyprès et certains fruits comme la pêche ou l’orange, via des protéines appelées GRP (Gibberellin-Regulated Proteins). Ces découvertes ont permis d’expliquer les réactions inexpliquées à des aliments pourtant bien tolérés hors période pollinique.
Pourquoi l’été est-il une période à risque ?
Il existe une vraie logique saisonnière derrière ces allergies croisées. L’été coïncide avec les pics de pollinisation de nombreuses espèces végétales : graminées en juin-juillet, armoise en juillet-août, ambroisie en août-septembre. Cette forte exposition stimule la réponse immunitaire et augmente la sensibilité de l’organisme. Si vous êtes déjà dans une phase inflammatoire à cause du pollen, votre corps sera d’autant plus prompt à réagir aux allergènes alimentaires similaires.
De plus, les fruits consommés en été le sont généralement crus, ce qui préserve les protéines responsables de l’allergie. Beaucoup d’allergènes sont thermolabiles, c’est-à-dire détruits par la cuisson. Ainsi, une compote de pêche ou une confiture d’abricot pourra être mieux tolérée qu’un fruit frais. Cependant, certains allergènes comme les LTP résistent à la chaleur, rendant ces aliments parfois toujours problématiques même cuits.
Peut-on continuer à manger ces fruits en toute sécurité ?
Heureusement, l’allergie croisée ne signifie pas forcément qu’il faut renoncer à tous les fruits d’été. Une bonne compréhension de son profil allergique permet souvent de faire des choix éclairés. Un allergologue peut recommander des tests spécifiques, tests cutanés, dosage des IgE spécifiques, tests de provocation, afin d’identifier précisément les aliments problématiques. En cas de doute, il est conseillé d’introduire les fruits progressivement, en petite quantité, et de surveiller les réactions.
Certaines précautions simples peuvent aussi être très utiles. Éplucher les fruits permet d’éliminer une partie des allergènes présents dans la peau. La cuisson, la compote ou les fruits en conserve peuvent être une alternative bien tolérée. En revanche, il est déconseillé d’expérimenter seul en cas d’antécédents de réactions sévères, notamment si l’on souffre d’asthme ou de symptômes généralisés. Dans ces cas, la prescription d’un antihistaminique ou d’un auto-injecteur d’adrénaline peut s’avérer nécessaire.
Enfin, une piste intéressante pour les personnes très sensibles est la désensibilisation. Certaines études montrent qu’une immunothérapie contre le pollen de bouleau, par exemple, peut réduire les réactions allergiques croisées aux fruits comme la pomme ou la noisette. Ces traitements sont encore réservés à des cas bien définis, mais ils laissent entrevoir des perspectives intéressantes pour mieux vivre avec ces allergies au quotidien.