

Aujourd’hui, les couples se forment plus facilement qu’avant, mais ils se défont tout aussi vite. En France, près d’un mariage sur deux finit par un divorce, et les relations hors mariage ne sont pas plus stables. Le paradoxe est saisissant : jamais nous n’avons autant parlé d’amour, et jamais il n’a semblé aussi fragile. Pourquoi un tel décalage ? Selon plusieurs psychologues et thérapeutes, cette instabilité tient autant à l’évolution de nos attentes qu’à notre rapport à l’intimité.
L’amour moderne est devenu un lieu de réalisation personnelle
Contrairement aux générations précédentes, où le couple répondait d’abord à des besoins sociaux, économiques ou familiaux, les relations amoureuses d’aujourd’hui sont investies de missions beaucoup plus complexes. Nous attendons du couple qu’il nous rende heureux, qu’il nous fasse grandir, qu’il stimule notre désir, tout en nous apportant sécurité, fidélité, communication et épanouissement. Un idéal que la célèbre thérapeute Esther Perel appelle le mariage romantique-hédoniste, où l’amour doit à la fois être passion et stabilité.
Mais ces exigences, souvent implicites, créent une pression énorme. Beaucoup de couples finissent par s’épuiser, car maintenir à la fois la flamme, le dialogue et l’évolution commune sur le long terme demande des ressources que peu savent mobiliser.
Des attentes irréalistes nourries par la culture et les technologies
Les séries, les réseaux sociaux et les applis de rencontre ont modifié notre manière de penser le couple. Le mythe du « bon » partenaire, parfaitement compatible et toujours disponible émotionnellement, est très répandu. Or, en réalité, tous les couples traversent des phases de doute, de lassitude ou de tensions. Mais dans une société où la frustration est mal tolérée et où tout semble accessible immédiatement, beaucoup préfèrent rompre plutôt que de travailler sur la relation.
Les chercheurs comme John Gottman, spécialisé dans la prévision des divorces, ont montré que ce ne sont pas les conflits en soi qui provoquent les séparations, mais la façon dont ils sont gérés ou évités. Le manque de dialogue émotionnel profond, l’évitement des sujets sensibles ou les critiques permanentes abîment plus sûrement un lien que les désaccords ponctuels.
Des blessures anciennes qui rejouent dans le couple
Autre facteur crucial souvent sous-estimé : nos schémas affectifs inconscients. Selon les approches en psychologie de l’attachement, chacun d’entre nous développe dans l’enfance un style relationnel qui influence ses comportements amoureux : anxieux, évitant, ou sécure. Ces modes d’attachement déterminent notre manière d’aimer, de gérer la proximité, ou la peur d’être rejeté. Sans conscience de ces mécanismes, il est facile de tomber dans des cycles répétitifs de conflits, d’incompréhensions ou de fuites.
Le couple ne se nourrit plus tout seul
Enfin, beaucoup pensent que « quand c’est le bon », l’amour doit couler de source. En réalité, une relation durable demande de l’intention, de la communication, du soin, de l’écoute active. Sans un projet de couple clair, sans rituels partagés ni capacité à se réinventer, l’érosion est inévitable. Le désir, par exemple, ne disparaît pas : il s’oublie si on ne le cultive pas.
En somme, si les ruptures sont si nombreuses aujourd’hui, ce n’est pas parce que nous aimons moins, mais parce que nous aimons autrement : avec plus d’attentes, plus de liberté, mais aussi plus de vulnérabilité.
L’idéalisation du partenaire dès les débuts

Lorsque nous tombons amoureux, notre cerveau libère une cascade de neurochimiques (dopamine, ocytocine, etc.) qui créent un véritable filtre de perception. Le/la partenaire est perçu·e comme exceptionnel·le, presque parfait·e. Ce phénomène est naturel, mais s’il n’est pas tempéré avec le temps, il crée une déception inévitable : le réel finit toujours par rattraper la projection. Cette chute de l’idéal peut provoquer une rupture brutale si l’un des partenaires ne supporte pas la réalité de l’autre.
Des conflits mal gérés ou mal exprimés

Selon John Gottman, les couples qui finissent par se séparer présentent souvent les « 4 cavaliers de l’Apocalypse » : la critique, le mépris, la défensive et le retrait. Beaucoup de conflits tournent à vide car ils masquent des besoins profonds non exprimés (besoin de reconnaissance, de sécurité, de respect). Ne pas savoir se disputer correctement, c’est-à-dire sans dévalorisation ou rejet, est un facteur majeur de rupture.
La peur de l’engagement ou de l’abandon

Nos histoires personnelles façonnent nos styles d’attachement. Une personne avec un attachement évitant aura tendance à fuir l’intimité dès que les émotions deviennent intenses. À l’inverse, un attachement anxieux conduit à la dépendance affective. Ces deux profils s’attirent souvent mais finissent par s’épuiser. Sans prise de conscience, ces dynamiques inconscientes mènent inévitablement à l’insatisfaction, voire à la rupture.
Une faible connaissance de soi avant d’entrer en relation

Beaucoup de personnes entrent en couple sans avoir réellement identifié leurs valeurs, leurs besoins ou leurs limites. Or, une relation saine commence par une relation claire avec soi-même. Ne pas savoir ce qu’on attend d’une relation ou ce qu’on est prêt à donner mène souvent à des malentendus, des frustrationt et à des choix de partenaires inadaptés.
Des objectifs de vie incompatibles

Au-delà de l’amour, la solidité d’un couple repose aussi sur un socle partagé :valeurs, rythme de vie, projets. Si l’un rêve d’expatriation et l’autre de stabilité familiale, ou si les conceptions de la parentalité, du travail ou de l’autonomie divergent profondément, le lien se fragilise. L’amour ne suffit pas toujours à combler ces écarts de fond.
La fusion affective ou la dépendance émotionnelle

Confondre amour et fusion est un piège courant. Un couple a besoin d’intimité, mais aussi d’espaces individuels. Trop de contrôle, trop de dépendance ou la peur d’être seul·e peuvent créer une atmosphère étouffante. Paradoxalement, plus une personne veut « garder l’autre à tout prix », plus elle l’éloigne.
L’usure du désir face à la routine

Le désir amoureux n’est pas automatique : il se cultive. Contrairement aux débuts où l’élan sexuel est spontané, il s’entretient avec le temps, par le jeu, la nouveauté, la distance aussi. La routine affective, si elle n’est pas équilibrée par des moments d’excitation ou de surprise, peut éteindre la flamme. Beaucoup de couples se séparent simplement parce que le lien érotique s’est dissous sans être réinvesti.
La logique du "zapping" relationnel

Notre société valorise la nouveauté, l’instantané, la performance. Cette logique s’infiltre dans nos vies amoureuses : dès que la relation devient exigeante ou inconfortable, certains préfèrent partir plutôt que d’affronter les zones d’ombre. Les applications de rencontre accentuent cette tendance à vouloir mieux ailleurs, même quand on est déjà avec quelqu’un de bien. Cela crée une forme d’instabilité chronique.