
Une détérioration inquiétante
L’acharnement à libérer des lits, les internes paresseux, les petites économies, l’impossibilité de changer de blouse, d’avoir des gants ou le matériel de base, les pompes à morphine en panne ; le film Hippocrate débusque le diable caché dans ces détails. Un tableau sombre mais qui, selon Eugénie en deuxième année d’internat à Lille, correspond à sa réalité quotidienne. Ce délabrement des coulisses de l’hôpital est aussi perçu par les malades. Au lendemain de son opération de la vésicule biliaire au CHU de Clamart, Annick fut témoin d’une infirmière reprochant à sa collègue la perfusion généreuse soulageant la douleur post-opératoire, au motif que le stock de morphine s’épuisait. Le traitement de la souffrance devient une affaire comptable et la multiplication de ce que les juristes nomment “l’accident médical“ découle de la somme de ces constats.
Les chiffres de l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux) donnent un indicateur éloquant. En 2003, les dossiers d’indemnisations pour faute étaient de 1.719. En 2013, ils sont 4.394. Le montant des dommages pour accidents médicaux représente aujourd’hui 78,5% du budget hors fonctionnement de l’ONIAM, contre 18,4% pour les autres contentieux. En 2004, l’organisme reconnaissait 19 décès ou handicaps permanents causés par une infection nosocomiale , il en validait 82 en 2012.
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L’hôpital public, toujours perdant
L’hôpital public est le reflet du contexte socio-économique. Une nuit aux urgences suffit à mesurer l’accroissement des populations pauvres qui n’ont plus que l’hôpital pour accéder aux soins. En plus d’accueillir la détresse sociale, l’hôpital subit le délestage des cliniques privées qui réexpédient sans état d’âme les indigents et les toxicomanes, disqualifient les “mauvais patients“. Invalides, trop âgés, obèses, insuffisants cardiaques ou pulmonaires, sujets infectieux, sont les patates chaudes dont elles se débarrassent au profit d’actes sans risques mais facturés au même tarif à la sécurité sociale.
En septembre 2013, une femme se présente à clinique de Vitry-sur-Seine. Elle est atteinte de la gangrène de Fournier, affection rare et souvent fatale. Sans pousser plus loin le diagnostique, le médecin de la clinique renvoie cette personne sous un prétexte hallucinant : « Madame, vous êtes une alcoolique ! ». Deux jours plus tard, elle finit aux urgences, son diagnostic vital engagé…
Au jeu subtil de la médecine lucrative, l’hôpital public est toujours perdant. Dès lors, les classements des hôpitaux publiés dans la presse sont absurdes et leurs critères posés hors de ces contraintes n’ont aucune signification.
Une formation médicale déficiente en quantité et qualité
L’hôpital s’installe dans un déficit structurel de médecins, impliquant le recours systématique aux médecins étrangers formés ailleurs pour combler cette carence. Quant aux internes admis en CHU, leur évaluation dépend surtout des pathologies qu’ils ont à traiter. L’interne valorise son cursus en accordant du temps et toute son attention aux maladies rares ou aux cas intéressants, négligeant les affections banales.
On peut aussi s’étonner que l’anatomie ne soit plus enseignée après l’examen de deuxième année de médecine et se demander si la matière est revue par nos praticiens. Sur un compte-rendu opératoire, un chirurgien hospitalier a écrit noir sur blanc : « Nous devons couper le nerf radial pour mieux voir la fracture… Nous adresserons le patient à un spécialiste pour réparer son nerf. » Connaître l’anatomie évite notamment de devoir couper un nerf important pour seulement : “mieux voir !“
Des personnels soignants inquiets
Trop d’hôpitaux nuit à l’Hôpital !
Tout le monde veut un hôpital près de chez soi, malgré les lacunes des établissements de petites villes et les situations anormales. Si l’existence du secteur privé à l’hôpital peut se justifier dans un CHU, dans un établissement doté d’un seul chirurgien par service, celui-ci se trouve en position d’imposer un monopole d’interventions, avec ses dépassements d’honoraires, à tous les malades d’une localité. Le racket n’est pas très loin…
Des petites économies fatales
Comment l’usager de l’hôpital public peut-il réagir au dogme de la rentabilité et se défendre face à des gestionnaires peu soucieux de sa sauvegarde ? Peut-être en évitant de mettre les pieds dans un hôpital en fin de semaine.